30 juin 2022
Dossier

Vers un nouveau pacte intergénérationnel dans l’entreprise

La diversité des âges, dans l’entreprise, est de plus en plus reconnue comme une source de performance sociale et économique.

Plusieurs défis restent posés aujourd’hui :
Comment faire évoluer la culture managériale pour animer cette diversité ? Quels leviers peuvent contribuer à une collaboration intergénérationnelle harmonieuse ?

2 femmes bras croisés devant un plan de travail, l'une d'âge mur cheveux blancs courts, l'autre plus jeune brune chignon

Ou la diversité des âges, source de performance sociale et économique

Selon la dernière note du cercle « Vulnérabilités et Société », think and do tank indépendant co-fondé par Thierry Calcat, Tanguy Châtel et Édouard de Hennezel, le lien intergénérationnel est notre trame sociale à la fois élémentaire et essentielle. Il symbolise à lui seul la difficile coexistence de toutes ses composantes : le jeune et le vieux, l’avenir et le passé, le fort et le faible, l’insouciant et le sage, le novice et l’expérimenté, celui qui produit, celui qui coûte…

Ainsi le lien intergénérationnel est un enjeu systémique de contributions collectives au bien commun. Cinq lieux-source ont été identifiés par le cercle pour agir sur le lien intergénérationnel : la famille, l’habitat, les quartiers et territoires, les engagements sociaux et le travail.

À l’heure de la transition démographique, trop souvent réduite à la question du vieillissement de la population, s’ajoute un contexte actuel marqué par de fortes tensions sur le marché du travail, avec de nombreux métiers pénuriques et globalement un manque de candidats qualifiés.

Pour les entreprises, ces difficultés appellent un changement dans la manière d’attirer et de fidéliser des talents, et dans la façon de s’adresser aux générations.

« Peut-on encore se priver des plus de 50 ans, alors que l’âge reste le premier critère de discrimination ? Et des jeunes, à qui l’on reproche trop souvent leur manque d’expérience ? »

Ces questions, Isabelle Barth les a abordées lors d’un récent webinaire organisé par le groupe IGS Formation continue sur le management intergénérationnel.

Cinq mains mis cote à cote formant un cercle symbolisant le succès de chacun et la force de l'union

Une source de performance aux yeux des DRH

Comme le rappelle la professeure des universités et experte en management, « La diversité générationnelle est un atout pour l’entreprise. »

À ses yeux, plusieurs actions peuvent contribuer à l’animation de cette diversité :

  • repenser le processus de recrutement pour s’ouvrir à d’autres profils ;
  • avoir une stratégie de formation tout au long de la vie ;
  • promouvoir la constitution d’équipes hétérogènes ;
  • mettre en place du mentorat et du mentorat inversé ;
  • accroître la flexibilité au travail ;
  • ou encore, réinventer l’espace et les environnements de travail.

Ce sujet n’échappe aujourd’hui à aucune entreprise. Ludovic Marche, DRH adjoint de Crit, lors du même webinaire, indiquait :

« La complémentarité des profils et des expériences est une vraie source de performance. Il est important de se concentrer sur le potentiel de chaque individu, sur ce qui le différencie et fait sa force. Activer les talents dans les entreprises est le principal enjeu managérial. »

À ses yeux, le champ d’action intergénérationnel consiste d’abord à travailler sur la vision de la hiérarchie, qui diffère d’une génération à l’autre ; puis sur la gestion du temps :

« Les séniors sont davantage concentrés sur leur tâche, dans un temps dédié, tandis que les jeunes générations recherchent plus de diversification du temps de travail. »

Et enfin, sur le besoin de reconnaissance et les conditions de l’engagement.

Homme dans la quarantaine, cheveux noirs, barbe noire, lunettes, debout, discutant avec un autre dans la soixantaine, cheveux blancs, barbe blanche, assis, autour d'un ordinateur

Reconnaître les différences pour en tirer pleinement parti

Cette réflexion s’inscrit dans le cadre des politiques de diversité et d’inclusion, dans lesquelles l’intergénérationnel occupe une place grandissante.

Le cabinet Robert Walters Management de Transition a récemment publié un rapport au titre évocateur : « Vers un retour en grâce des séniors ».

  • Leur expérience est ainsi considérée comme leur atout majeur par 90 % des professionnels RH interrogés ;
  • d’autres aspects sont mis en avant, comme leur capacité à travailler en mode projet (43 %),
  • mais aussi leur résilience et leur adaptabilité (31 %).

Du côté des Millenials, la quête de sens s’exprime via leur attachement aux valeurs sociétales de l’entreprise, tandis que la crainte de la routine est synonyme de recherche de nouveaux challenges, et d’envie de se confronter à d’autres regards.

Comment alors créer un cadre propice à l’intergénérationnel ? Plusieurs attitudes managériales sont à privilégier, sur la base d’un socle essentiel : la reconnaissance des différences entre jeunes générations et séniors.

  • Par exemple, les premières attendent des feedbacks réguliers, au-delà de l’entretien annuel d’évaluation ;
  • les seconds expriment une moins forte demande d’autonomie.

Sans entrer dans un management « à la carte », il est important d’avoir conscience de ces grandes tendances pour maintenir l’engagement. Les retours d’expérience des entreprises confirment l’efficacité de trois approches. D’abord, le fait de mixer les équipes et d’animer cette diversité pour en tirer les pleins bénéfices. La complémentarité des profils va faire toute la richesse de l’équipe.

Groupe de collègues du bureau se balade dans la rue tout en discutant

Coopération, apprentissage mutuel et transmission

D’après une étude conduite par l’Observatoire du management intergénérationnel (OMIG), la coopération entre générations accroît la créativité et l’innovation. Lorsqu’elle est organisée, cette dynamique collaborative permet de moderniser les méthodes de travail dans deux entreprises sur trois, mais aussi de contribuer au développement de l’activité de l’entreprise et d’accélérer la concrétisation des projets.

La deuxième démarche gagnante consiste à favoriser l’apprentissage mutuel, par du mentorat « classique » (des séniors vers les plus jeunes) ou inversé — notamment pour ce qui concerne les nouvelles technologies digitales. Cette réciprocité est la clé d’un tutorat réussi, qui participe au décloisonnement : des projets communs ou des communautés de pratiques vont permettre à chacun d’apporter sa pierre à l’édifice.

La troisième approche à privilégier est particulièrement stratégique. Ce terreau, fait de fertilisation croisée et de collaboration, va contribuer à la préservation des connaissances et à la transmission des savoir-faire.

Alors que les baby-boomers partent à la retraite, ce passage de relais entre séniors et juniors va contribuer au maintien de ces compétences et expertises, indispensables à l’entreprise. La démonstration, s’il en fallait une de plus, de l’importance cruciale d’un nouveau pacte intergénérationnel dans chaque organisation.

90 %

des DRH estiment que l'expérience est l'atout majeur des séniors.

31 %

d'entre eux mettent en avant leur capacité d'adaptation et leur résilience.

56 %

des français craignent un conflit de générations. (Odoxa, 2021)

L’autorité, une notion à réinventer

Dans le monde de l’entreprise, le rapport hiérarchique n’est plus une donnée figée, uniquement descendante. La relation entre le manager et les collaborateurs dépend de multiples facteurs, évolue selon le contexte, varie selon les générations.

Le psychiatre Patrice Huerre, est le co-auteur de « L’autorité en question, nouveau monde, nouveaux chefs ». Dans ce livre, il propose une nouvelle approche de l’autorité et du leadership.

Depuis une cinquantaine d’années, l’autorité — au sein de la famille, dans la société ou l’entreprise — n’en finit plus d’être questionnée. Auparavant légitimée par une fonction, elle s’efface au profit de nouveaux modes relationnels, dans lesquels elle n’est qu’un des éléments. Moins évidente, plus complexe, l’autorité ne cesse de se réinventer.

C’est pour saisir ce qui fait sa nature en 2022 que Patrice Huerre, avec le consultant et ex-chef d’entreprise Philippe Petitfrère, revisitent l’histoire récente et ses bouleversements sociétaux. Les auteurs s’interrogent ainsi :

« L’autorité au singulier a-t-elle laissé la place à des autorités toutes relatives, multiformes ? »

Couv du livre L'autorité en question nouveau monde, nouveaux chefs, illustration d'un chef sur la table portant un bouclier, l'assemblée assise autour de la table qui sourit

Savoir composer avec la diversité des personnes et des parcours

Dans l’entreprise, le pacte salarial s’accompagne d’une « loyauté toute conditionnelle », où l’intérêt personnel prend le pas sur le collectif.

Autre difficulté : chacun a son propre vécu de l’autorité, basé sur ses expériences infantiles.

« D’où les variations rencontrées dans les capacités à déléguer ou à recevoir une délégation. D’où nos différences dans les façons d’accepter le discours du chef, d’appréhender la réalité, les différents niveaux de stress que nous pouvons connaître, la vision optimiste de l’avenir ou le tableau plus sombre que nous en avons. Et pourtant, il faut bien composer avec cette diversité humaine pour tenter d’avancer ensemble. »

Si l’autorité « naturelle » ne fait plus recette, quelle alternative lui offrir ? Le discours sur l’autonomisation et la responsabilisation, très en vogue aujourd’hui, présente des limites.

« Nous faisons tous chaque jour face à une incroyable quantité d’injonctions paradoxales. Le “Sentez-vous responsables et autonomes !” signifie en réalité : “Exercez les responsabilités que je vous ai données dans le cadre strict que je vous ai indiqué… mais pas sans mon aval, et surtout pas autrement que je le ferais. Et rendez-moi compte de vos résultats rapidement.” »

Pour éviter ce travers, Patrice Huerre et Philippe Petitfrère recommandent de repenser l’allocation des responsabilités et de la faire redescendre aussi bas que possible. Bref, de jouer le jeu de ce qui est annoncé, et donner à l’autonomie l’opportunité d’être réellement exercée.

Une nouvelle culture managériale à déployer

C’est in fine la figure du « chef » qui doit être réinventée — et non abandonnée. Le rôle du manager change en profondeur, nécessitant de mobiliser différents styles de leadership.

Une étude réalisée par Le Village by CA, le Lab RH et Startup Inside, met en lumière plusieurs qualités pour changer de posture managériale : aligné, agile, fédérateur, inclusif, apprenant et ouvert.

Pour Patrice Huerre et Philippe Petitfrère, « le chef doit organiser les conditions permettant l’expression de la diversité des points de vue en s’assurant de leur mise en musique. Il est le garant de la fertilisation. Tant au plan politique que dans les entreprises ou les familles. »

Accepter de jouer un rôle différent, c’est aussi adopter, aux yeux des auteurs, un peu d’humilité, citant par exemple le fait de préparer le café pour ses collaborateurs :

« Les attributs n’importent-ils pas moins que la responsabilité liée à la fonction ? On n’insistera toutefois jamais assez sur le fait que tout ressemblera à des gadgets démagogiques si ces nouvelles attitudes ne sont pas motivées par de la sincérité, une fois de plus. »

La nouvelle autorité des chefs… d’orchestre

Des règles, mais pas trop contraignantes ; du codéveloppement, de l’animation d’équipe ; moins de pratiques verticales, davantage de collaboration. Tels pourraient être les fondements d’une nouvelle forme d’autorité, que les auteurs résument ainsi :

« Je te dis : tu entends ; je t’explique : tu comprends ; je te fais participer : tu adhères. »

Il s’agit également d’accepter toute forme de critique constructive, en mettant en place des circuits d’information (remontants, descendants, horizontaux) qui apporteront des éclairages précieux aux décisionnaires. Le chef doit aussi savoir se faire confiance pour être en capacité de faire confiance. Il est tout aussi important qu’il sache écouter, et prendre en compte ce qui lui est dit, sans faux-semblant.

« Place donc aux chefs accoucheurs, aux chefs d’orchestre. Crédibles, car sincères. Capables de donner du sens aux messages qu’ils adressent et d’y associer ceux à qui ils les adressent. »

Pour aller plus loin : Patrice Huerre et Philippe Petitfrère, L’autorité en question, nouveau monde, nouveaux chefs, éditions Odile Jacob, 2021.

Focus sur le leadership

L’autorité d’un chef peut prendre des formes variées. Elle va s’exprimer différemment en fonction du contexte, de l’individu, de l’objectif. Les travaux des chercheurs en sciences sociales ont mis en lumière plusieurs postures à la disposition du manager, notamment :

  • Le leadership inspirant : la vision est partagée, la communication est encouragée, avec un impact positif sur la créativité et la recherche de challenges
  • Le leadership charismatique : particulièrement utile en période de crise, cette modalité contribue à l’engagement de chacun au service du projet collectif, grâce au climat de confiance qui a été instauré
  • Le leadership transactionnel : la relation avant tout. Le manager favorise les interactions avec ses équipes, il les responsabilise et les impliquent dans la définition des objectifs
  • Le servant leadership : le manager se met au service des collaborateurs, à l’écoute de leurs attentes, il leur apporte ce dont ils ont besoin pour accomplir leurs missions
Illustration Jeunes cons Vieux fous YouthForever

Les générations en quête de réconciliation

« Jeunes cons, vieux fous ». Un brin provocateur, le nom de l’enquête est surtout évocateur du constat initial de l’association Youth Forever : il existe un fossé générationnel qu’il faut réussir à dépasser pour construire un nouveau pacte social. Plusieurs leviers existent pour y parvenir, notamment des aspirations communes.

« Chaque génération se croit plus intelligente que la précédente et plus sage que la suivante. »

Cette citation de George Orwell illustre le risque de décalage, voire d’incompréhension, entre les générations présentes dans l’entreprise :

  • les Boomers, nés avant 1965,
  • la génération X, entre 1966 et 1981,
  • les Millenials, entre 1982 et 1996,
  • et la génération Z, dont les membres sont nés à partir de 1997.

C’est pour éclairer ce phénomène et identifier des leviers pour dépasser les clivages que Youth Forever a mené une étude, basée sur des entretiens approfondis avec des experts de l’intergénérationnel, un questionnaire et des focus groups.

La quête de sens, un enjeu sociétal commun

Premier enseignement : les plus jeunes manifestent la plus forte envie de ressouder les générations. Ce sont ceux qui perçoivent le plus la richesse de la diversité et de l’inclusion, et qui souhaitent favoriser la collaboration.

Si les attentes et aspirations peuvent varier, l’étude met en évidence le socle commun d’un nouveau pacte intergénérationnel : une attention marquée aux enjeux sociétaux actuels, une volonté de parler d’une même voix sur ces enjeux, et un certain optimisme quant à la capacité de relever ces défis ensemble.

Aux yeux des jeunes comme des moins jeunes, la quête de sens et l’engagement passent notamment par le monde de l’entreprise. Pour un membre sur deux de la génération Z, le travail est considéré comme un levier pour aligner éthique personnelle et activités quotidiennes. La RSE (responsabilité sociétale d’entreprise) prend ainsi de plus en plus d’importance aux yeux des différentes générations. Pour les Millenials et la génération Z, la recherche de sens est largement synonyme d’utilité sociale. Les actifs nés entre 1982 et 1996 sont les plus nombreux à privilégier les entreprises à impact.

De nouvelles formes d’agora à inventer

Comment agir pour favoriser ce pacte intergénérationnel au bénéfice d’un monde meilleur ?

L’étude permet d’identifier plusieurs pistes, comme la mise en place d’espaces communs de dialogue. La digitalisation de la communication s’accompagne de canaux conversationnels distincts – comme on le perçoit avec l’usage différencié des réseaux sociaux, Facebook pour les plus âgés, Instagram et TikTok pour les plus jeunes. Il est donc essentiel de concevoir des modalités communes pour échanger et débattre, sans s’appuyer systématiquement sur les outils digitaux.

La cohésion comme moteur de l’action : les générations se retrouvent dans cette idée, qu’ils perçoivent comme le pilier principal de la transformation de la société. Comme le résume un membre de la génération X interrogé par Youth Forever :

« Nous sommes à la croisée des chemins pour construire un nouveau monde… Et la coopération intergénérationnelle est une vraie opportunité : chaque génération a quelque chose à apporter, aucune ne détient la vérité. »

Pour en savoir plus sur l’enquête « Jeunes cons, vieux fous »