Ruptures de vie : les réponses de la protection sociale complémentaire

Sous l’effet du rallongement de l’espérance de vie, le risque de dépendance et de perte d’autonomie concerne de plus en plus de Français. À cette tendance structurelle s’ajoutent des facteurs conjoncturels, comme la hausse des décès liée à la pandémie. Autant de défis pour les institutions de prévoyance, appelant de l’innovation sociale.
Le vieillissement de la population, un enjeu primordial
Sur l’année 2020, l’Insee a enregistré 668 800 décès, soit 55 500 de plus qu’en 2019. Comment expliquer cette hausse inédite depuis 70 ans ? Avec l’arrivée massive de la génération du baby-boom à des âges où la mortalité est plus élevée, le nombre de décès augmente chaque année depuis dix ans. Pour autant les chiffres de 2020 sont sans commune mesure avec ceux des années précédentes. Sans la pandémie de Covid-19, l’accroissement des décès aurait été inférieur à 15 000. La crise sanitaire a également entraîné une diminution marquée de l’espérance de vie à la naissance, d’un peu plus de six mois par rapport à 2019.
Une surmortalité inédite, notamment des plus de 70 ans
Les évaluations statistiques de l’Insee confirment la dimension exceptionnelle de cette surmortalité : elle est nettement supérieure à celles des épisodes grippaux ou caniculaires des cinq dernières années, ou encore à la canicule de 2003. Sans surprise, la plupart des victimes de la pandémie de Covid-19 sont âgées de plus de 70 ans. La hausse des décès, restée limitée entre 60 et 69 ans, bondit à 14 % entre 70 et 79 ans, et se situe à des niveaux élevés entre 80 et 89 ans (+ 9 %) et au-delà (+ 12 %).
Cette crise sans précédent n’a pas été sans conséquence sur les acteurs de la prévoyance (Lire ci-dessous : Les conséquences de la pandémie pour les acteurs de la prévoyance). Bien que de nombreux décès recensés soient liés à la pandémie, l’avancée en âge est également un sujet qui les occupe fortement avec le risque de dépendance et de perte d’autonomie, qui concerne de plus en plus de Français.
Le vieillissement de la population est en effet un enjeu primordial, auquel la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement tente de répondre - avec par exemple la réforme de l’allocation personnalisée d’autonomie, des mesures de soutien aux proches aidants, etc.
4 millions de seniors en perte d’autonomie en 2050
En 2015, l’Insee enregistrait 2,5 millions de personnes âgées en perte d’autonomie, représentant près d’une personne de 60 ans et plus sur sept. Moins de 10 % des individus de 75 ans ou plus vivent en institution, avec des disparités d’offre territoriale - cette proportion étant bien plus faible dans les DOM, à Paris et en Corse. Or, comme le note l’Insee, les départements présentant les plus forts taux de seniors vivant en institution ne correspondent pas aux départements enregistrant les plus forts taux de perte d’autonomie...
Si les tendances démographiques se confirment, la France comptera 4 millions de seniors en perte d’autonomie en 2050. Deux vagues sont attendues : d’abord, à horizon 2027, leur pourcentage diminuerait très légèrement, ensuite, l’augmentation reprendrait progressivement essentiellement du fait de l’arrivée des baby-boomers dans les âges seniors. À l’avenir, en considérant que la répartition de la prise en charge entre domicile et établissement resterait la même, le nombre de personnes hébergées en EHPAD devrait croître de 2 % par an de 2023 à 2040. Il dépasserait les 700 000 en 2030, et s’élèverait à 900 000 en 2045, soit une augmentation de plus de 50 % entre 2015 et 2045.
Pouvoirs publics : des réponses qui se font attendre
Cette projection de l’Insee appelle des choix politiques : soit l’ouverture massive de places en EHPAD, soit le partage de la prise en charge entre domicile et établissement - avec l’objectif de favoriser le maintien à domicile. Or le gouvernement a annoncé en septembre 2021 que la loi « Grand âge et autonomie » ne serait finalement pas votée d’ici la fin du quinquennat. Dans Les Échos, Florence Legros, économiste spécialiste des retraites et du grand âge, souligne à quel point cette annonce est une déception pour les professionnels, qui voyaient dans ce projet législatif une source de solutions au manque de moyens.
Pour l’experte, le projet de loi « manquait de détails techniques, n’apportant pas de réponse précise sur les financements, leurs montants, leurs modèles (forfaitaire ou proportionnel aux revenus), leur timing, etc. Ainsi, pour ceux qui soulèvent les problèmes de carence des EHPAD et autres établissements spécialisés, et qui demandent d’accroître les moyens, oui, l’abandon de la loi grand âge est un coup rude. En revanche, ceux qui prônaient une mise à plat de l’aspect budgétaire continuent à plaider pour un texte plus robuste techniquement. »
Un texte largement attendu, et dont les pouvoirs publics ne pourront probablement pas faire l’économie pour trouver des réponses concrètes à cet enjeu sociétal majeur.
Source : « Prévoyance : comment retrouver les équilibres », Argus de l’assurance, 6 octobre 2021.
Les conséquences de la pandémie pour les acteurs de la prévoyance
« La crise sanitaire a généré un niveau d’exigence supplémentaire quant au pilotage et à l’anticipation du risque prévoyance, qui nécessite déjà par nature un suivi très fin. » Dans les colonnes de l’Argus de l’assurance, Jean-Philippe Lavergne, directeur adjoint du marché français de Scor Global Life, résume ainsi les défis à relever. « Le risque prévoyance n’a jamais été aussi complexe à piloter qu’aujourd’hui », confirme Gilles Thivant, directeur du marché français vie et santé de PartnerRe.
Les incertitudes quant à l’avenir et le manque de visibilité de l’impact sociétal comme économique, expliquent ce haut niveau de complexité. Malgré la surmortalité d’environ 3 % liée à la pandémie, les garanties décès n’ont pas subi de fort impact, le virus ayant en particulier été fatal aux personnes de plus de 70 ans. C’est surtout sur le volet des arrêts de travail que l’impact de la crise sanitaire a été le plus fort - certains acteurs évoquent une hausse de 20 % en un an. Pour autant, cette masse d’arrêts de travail imprévue n’a pas été indemnisée intégralement par l’assurance prévoyance, rappelle l’article. Un premier niveau a pu être pris en charge par la Sécurité sociale, puis les garanties prévoyance sont entrées en jeu. « Il est trop tôt pour faire le bilan », estiment les acteurs de la prévoyance, qui anticipent d’autres difficultés : l’impact des « Covid longs » et les risques psychosociaux liés au télétravail et aux confinements successifs.
Des réponses concrètes, co-construites par l’OCIRP et les institutions de prévoyance
L’Union met son expertise au service des institutions membres, pour définir et déployer des offres adaptées aux besoins des personnes confrontées à des ruptures de vie. Les explications de Christophe Heintz, responsable du pôle conception et marketing de l’OCIRP.
Comment travaillez-vous avec les institutions de prévoyance pour concevoir des offres innovantes ?
Historiquement, l’OCIRP a été créé par ses membres pour couvrir des risques longs, exclusivement des rentes décès. Une vaste gamme de produits associés aux rentes a été construite au fil des années, et pour accompagner nos Institutions membres partenaires, particulièrement dans le cadre des négociations de Branches professionnelles et des contrats avec les Grands comptes. Aujourd’hui, nous cherchons à diversifier nos formes de collaborations en partant des besoins des institutions et adapter nos produits en conséquence.
En fonction de la complexité de chaque projet, nous développons conjointement une feuille de route, et les équipes de l’OCIRP et de l’institution se partagent son pilotage. Notre ambition, en tant qu’Union au service de ses membres, est d’apporter une réelle différenciation dans une logique de co-conception d’offre et de co-conduite de projet.
L’une des premières illustrations de cette démarche concerne l’offre « Maladies redoutées » récemment commercialisée par l’un de vos membres. Comment s’est déroulée votre collaboration ?
Aujourd’hui, près d’un salarié sur six est concerné par une affection longue durée (ALD). Ce nouveau contrat complémentaire prévoit de couvrir une ou plusieurs ALD survenues en cours de contrat. La garantie inclut le versement d’un capital et un dispositif d’accompagnement, pendant l’évolution de la pathologie et après la rémission. Pour concevoir cette offre, nous avons apporté notre savoir-faire sur la phase d’étude, c’est-à-dire, l’ingénierie de la solution et le co-pilotage du projet, participé à la phase de mise en œuvre du prototype, et contribué au lancement commercial du produit en développant, notamment, des Webinaires auprès des entreprises. La solution est innovante et différenciante pour notre partenaire, et le travail en commun a permis un gain de temps significatif.
En tant que spécialistes des ruptures de vie, nous avons une bonne compréhension des besoins et des moyens à mettre en œuvre. La technicité est indispensable, même - et surtout - pour traiter de sujets sociaux et humains.
Ce projet est un bel exemple de collaboration réussie entre les équipes marketing des deux institutions.
Quelles sont les autres initiatives en cours ?
Nous sommes très impliqués avec l’un de nos membres sur un projet d’accompagnement social au deuil des conjoints percevant une pension de réversion. Il part d’un constat : celui de la surmortalité du conjoint survivant, plus particulièrement lorsque celui-ci est « jeune retraité » - le risque de décès est multiplié par deux dans les deux ans qui suivent la disparition du conjoint. Ce projet a débuté par l’expérimentation, sur un panel d’allocataires, du dispositif Vivre après, créé en 2019 par l’OCIRP pour accompagner ses bénéficiaires de rentes.
En cas de succès de l’expérimentation, dont l’impact social sera évalué par un cabinet externe, le projet pourrait prendre une autre dimension, celle d’accompagner tous les allocataires en situation de veuvage de notre partenaire.
Ainsi, en croisant nos savoir-faire respectifs, nous traitons ici un vrai enjeu sociétal, celui du « bien vieillir » et de la lutte contre l’isolement des personnes âgées.
D’autres initiatives verront sans doute le jour à l’avenir, réaffirmant le positionnement de l’OCIRP : être au service des institutions de prévoyance partenaires en apportant un savoir-faire reconnu en matière d’agrégateur de solutions. Nous contribuons ainsi à la valeur des offres des institutions membres de l’Union, pour les aider à se différencier sur le marché, et à se positionner sur des niches dans un contexte marché devenu extrêmement concurrentiel.
Des innovations tous azimuts portées par les acteurs de la prévoyance
Les garanties ne sont pas la seule manière de répondre aux besoins des adhérents. L’action sociale des institutions de prévoyance multiple les projets et soutient des initiatives.
En voici un florilège représentatif.
AG2R La Mondiale : Un dispositif d’accompagnement sur-mesure face à la perte d’autonomie et au maintien à domicile
Co-construit par AG2R La Mondiale et ses partenaires, le « Parcours autonomie » vise à favoriser le maintien à domicile des personnes en perte d’autonomie, que celle-ci soit liée à l’âge ou non. Ce parcours d’accompagnement, proposé aux allocataires, leurs ayants droit et leurs aidants, permet d’accéder à un ensemble de services coordonnés et de faciliter le choix de solutions adaptées à chaque besoin – parmi les nombreuses possibilités existantes. Ce dispositif repose sur une mise en réseau de partenaires et prestataires experts afin d’offrir un accompagnement personnalisé. Sur la base d’un diagnostic, les bénéficiaires sont orientés, grâce à la plateforme « My Autonomie », vers le ou les différents partenaires répondant à leurs besoins (aide au déménagement, garde de nuit à domicile, solutions de répit, etc.). Marguerite Services propose par exemple un service de conseil personnalisé pour rechercher des aides financières et des professionnels, réaliser des démarches administratives ou être accompagné pour mettre en place des solutions ; les ergothérapeutes d’Alogia Groupe proposent des solutions concrètes pour adapter le logement ; avec Autonomie Planners, le bénéficiaire et son aidant sont soutenus pour coordonner les interventions nécessaires au bien vieillir à domicile.
Ce nouveau service est en cours d’expérimentation, pour une durée de 12 mois, auprès de personnes en perte d’autonomie.
Klesia : Une série de webinaires sur le thème du « Bien vieillir ensemble »
Tout au long de 2021, Klesia a proposé quatre rendez-vous en ligne à ses clients retraités et futurs retraités. Le dernier s’est tenu le 9 décembre avec pour thème : « Quelle activité physique adaptée pour bien vieillir ? ». Ces webinaires dédiés au bien vieillir - l’une des quatre orientations prioritaires de l’Agirc-Arrco - visaient à privilégier la prévention, pour limiter le risque de perte d’autonomie. Ils ont donné lieu à des retours d’expérience et donné la parole à des entrepreneurs sociaux, créateurs de solutions innovantes partout dans le monde.
Ces témoignages sont issus d’une cartographie sur le bien vieillir à travers l’innovation sociale, réalisée par Changemaker Companies, et dont Klesia est partenaire. Le premier webinaire, en mai dernier, a traité du rôle du lien social ; le deuxième, le mois suivant, a présenté des moyens concrets de s’engager au service de la société, dans le cadre d’une retraite active. Pour le troisième, les intervenants ont donné des clés pour répondre à plusieurs questions : comment vivre chez soi plus longtemps ? Quelles nouvelles réponses en termes d’habitat ? Comment repenser le réseau de solidarité, les opportunités de lien social et les infrastructures ?
Pour voir les replays : klesia.fr/regardez-les-replay-des-webinaires-bien-vieillir-ensemble
Malakoff Humanis : Partenaire de la mobilisation nationale « Service Civique Solidarité Seniors »
Lancé en mars 2021, le dispositif « Service Civique Solidarité Seniors » a été construit à l’initiative de Malakoff Humanis et d’Unis-Cité, partenaire du groupe depuis 2008. Soutenu par plusieurs ministères (Solidarités et Santé ; Éducation nationale, Jeunesse
et Sports), ainsi que par l’Agence nationale du service civique, il a pour ambition de contribuer à rompre l’isolement social des personnes âgées. Un défi de taille sachant qu’un Français de plus de 60 ans sur cinq présente ce risque.
L’objectif initial était de mobiliser 2 000 jeunes volontaires pour effectuer des missions de service civique auprès de 45 000 bénéficiaires âgés de plus de 70 ans. Face au succès de l’opération, qui a déjà rempli ses premiers objectifs, le « Service Civique Solidarité Seniors » a fait l’objet cet été d’une campagne de promotion pour atteindre 5 000 jeunes d’ici juillet 2022. Dans la lignée de la volonté gouvernementale de développer le service civique, notamment dans le secteur du grand âge, l’ambition de cette mobilisation collective est de déployer 10 000 jeunes au bénéfice de plus de 200 000 personnes âgées d’ici trois ans.
Le site www.sc-solidariteseniors.fr permet aux jeunes d’en savoir plus sur la qualité de l’expérience de service civique qui leur sera proposée, et de candidater à des offres de missions variées au sein d’une grande diversité de structures.
Groupe Apicil : En soutien d’un MOOC consacré aux soins palliatifs
L’association ASP Fondatrice, créée en 1984, est dédiée à l’accompagnement bénévole et au développement des soins palliatifs. Avec le soutien de l’action sociale d’Apicil, elle a conçu un MOOC (massive open online course), une formation en ligne à destination du grand public. Également utilisée comme outil de formation pour les étudiants infirmiers et les professionnels de santé et de l’écoute, elle vient de recevoir le prix « coup de cœur » du Trophée des patients de l’AP-HP (Assistance publique - hôpitaux de Paris).
L’objectif est d’aborder la question des droits des malades en fin de vie pour renforcer le niveau d’information.
Il s’agit donc de permettre au public et aux professionnels d’acquérir des connaissances, des repères et des outils pour faire face à ces questions délicates et souvent difficiles. Par ailleurs, les bénévoles en soins palliatifs et les aidants familiaux peuvent ainsi mieux adapter leur pratique d’accompagnement.
Un des avantages du MOOC est de permettre les témoignages et échanges des participants sur le sujet. À ce jour, ce qui est la première formation en ligne francophone sur les soins palliatifs a rassemblé plus de 20 000 personnes.
Ce succès démontre le besoin de poursuivre ce genre d’actions afin d’informer et de former sur les soins palliatifs. L’ASP et ses partenaires continueront, ces prochaines années, à diffuser la culture palliative en France et au-delà de ses frontières.